“Aimer quelqu’un c’est reconnaître, valoriser, activer ses histoires.”
“Il est beau de voir un être se détendre et s’épanouir sous l’effet de l’intérêt que nous lui portons. Notre intérêt est comme un soleil : la fleur s’ouvre peu à peu et offre ses couleurs.”
“La vérité (surprenante !) est qu’il est plus facile de se mettre à la place d’autrui qu’à la sienne. Pour se mettre à la place d’autrui, on n’a pas besoin de narrativité. Pour se mettre à la sienne, si.”
“La narrativité s’est développée en notre espèce comme technique de survie. Elle est inscrite dans les circonvolutions mêmes de notre cerveau. Plus faible que les autres grands primates,sur des millions d’années d’évolution,l’Homo sapiens a compris l’intérêt vital qu’il y avait pour lui à doter, par ses fabulations, le réel de Sens.”
“Aussi loin que l’on remonte dans les étymologies, de mot en mot on ne trouve que d’autres mots c’est-à-dire d’autres signes arbitraires, découpant le monde, construisant leurs objets au lieu de les trouver.”
“Dieu qui nomme les premiers hommes, etc., c’est une fiction. Nous ne sommes pas Sa création, Il est la nôtre.”
“Votre nom, aussi, est une fiction. Il aurait pu être autre. Vous pouvez le changer. Les femmes en changent souvent. En se mariant, elles passent d’une fiction à une autre.”
“Le baptême, le mariage : actes magiques. Toute nomination est un acte magique. Les êtres humains sont des magiciens qui s’ignorent.”
“L’argent est une fiction[…]”
“Les êtres humains sont des alchimistes qui s’ignorent : par leurs fabulations, ils transforment tout en argent c’est-à-dire en or.”
“Le Sens est notre drogue dure. Sous forme d’idéal politique ou religieux, elle est non seulement dure mais pure. Pour s’en procurer, certains iront jusqu’à tuer père et mère, voire à sacrifier leur propre vie”
“Pour disposer d’un soi, il faut apprendre à fabuler. On l’oublie après, commodément, mais il nous a fallu du temps,et beaucoup d’aide, pour devenir quelqu’un. Il nous a fallu des couches et des couches et des couches d’impressions reliées en histoires. Chansons. Contes. Exclamations. Gestes. Règles. Socialisation. Propre. Sale. Dis pas ceci. Fais pas cela. Bing, bang, bong.”
“Notre mémoire est une fiction. Cela ne veut pas dire qu’elle est fausse, mais que, sans qu’on lui demande rien, elle passe son temps à ordonner, à associer, à articuler, à sélectionner, à exclure, à oublier, c’est-à-dire à construire, c’est à-dire à fabuler.”
“Tolstoï, dans sa jeunesse, a une fois tenté d’écrire L’histoire de la journée d’hier et a abandonné au bout de quelque deux cents pages, ayant compris qu’il s’était fixé un objectif impossible.”
“Je jure de dire toute la vérité ? Il nous est loisible de dire des choses vraies, mais non la vérité, et surtout pas toute, même au sujet de ce qui s’est passé au cours des cinq dernières minutes dans le lieu où nous nous trouvons. On ne peut la dire car elle est infinie. Pour rester soi, on doit en oblitérer presque tout.”
“Chaque infime détail de votre expérience entre la vie et la mort requerrait une infinité de temps si vous deviez l’expliquer exhaustivement.”
“Quand le moi romancier défaille, n’arrive plus à conduire efficacement (et imperceptiblement) son travail de construction, d’ordonnance, d’invention, d’exclusion, d’interprétation, d’explication, etc., “la réalité” devient du n’importe quoi.”
“Les gens qui se croient dans le réel sont les plus ignorants, et cette ignorance est potentiellement meurtrière.”
“La paranoïa, maladie de la surinterprétation, est la maladie congénitale de notre espèce.”
“Le penchant inné de notre cerveau pour la narrativité, sciemment exploité depuis toujours par les Eglises, l’est de plus en plus par les médias, les partis politiques, les grandes entreprises et l’institution militaire.”
“Les mauvaises fictions engendrent la haine, la guerre, les massacres. On peut torturer, tuer, mourir pour une mauvaise fiction.”
“Le ciel, l’enfer, Dieu, l’immortalité de l’âme, les retrouvailles dans l’au-delà : balivernes, si l’on veut… mais qui ont la formidable efficacité, la formidable réalité de l’imaginaire.”
“Il n’y a pas le mythe d’un côté et la réalité de l’autre. Non seulement l’imaginaire fait partie de la réalité humaine, il la caractérise et l’engendre.”
“Une contenance, c’est ce à quoi nous tenons plus que tout.”
“Et ce que nous redoutons plus que tout : le ridicule. Être révélés comme ce rien, ce presque rien que nous sommes : des mammifères mortels.”
“Quand on maintient les gens, année après année, dans un univers de laideur et de contrainte, de misère et d'humiliation, on ne peut s’attendre à trouver en eux des interlocuteurs ouverts et souriants, à la parole nuancée.En se contentant de renforcer indéfiniment le dispositif sécuritaire autour des “fauteurs de troubles”, l’on rend en fait ceux-ci de plus en plus dangereux car de plus en plus primitifs.”
“Il est beau de voir un être se détendre et s’épanouir sous l’effet de l’intérêt que nous lui portons. Notre intérêt est comme un soleil : la fleur s’ouvre peu à peu et offre ses couleurs.”
“Le faire fait l’être.”
“La science nous montre que, derrière les faits, il y a non une raison mais une cause. Cela change tout.”
“Plus on se croit réaliste, plus on ignore ou rejette la littérature comme un luxe auquel on n’a pas droit, ou comme une distraction pour laquelle on est trop occupé, plus on est susceptible de glisser vers l’Arché-texte, c’est-à-dire dans la véhémence, la violence, la criminalité, l’oppression de ses proches, des femmes, des faibles, voire de tout un peuple. Cela vaut autant pour les PDG des grandes sociétés, les vendeurs d’armes multimilliardaires, les hommes politiques aux ambitions grandioses… que pour les petits caïds des banlieues ou les islamistes complotant fiévreusement dans les capitales européennes.Tous ces individus ont en commun une chose importante : ils n’ont pas le temps de lire.”
“En effet, tout bon roman est aussi une plaidoirie éthique…mais d’un type particulier.”
“Contrairement à nos fictions religieuses, familiales et politiques, la fiction littéraire ne nous dit pas où est le bien, où le mal. Sa mission éthique est autre : nous montrer la vérité des humains, une vérité toujours mixte et impure, tissée de paradoxes, de questionnements et d’abîmes. (Dès qu’un auteur nous assène sa vision du bien, il trahit sa vocation ro manesque et son livre devient mauvais.)”